A propos de... l'AAH, mais pas vraiment

 

A propos de…

L’AAH, mais pas vraiment


Avertissements de contenu : 


Validisme, sanisme, racisme, eugénisme, morts, meurtres racistes et handiphobes, suprématie blanche, violences médicales, violences institutionnelles, violences familiales et envers les enfants


Avant-propos


  • Ce texte est écrit par une personne handicapée blanche et traite notamment de l’intersection entre racisme et validisme. En tant que tel, ce texte est forcément incomplet et comporte des approximations. Il ne peut être lu en lui-même et pour lui-même, et doit nécessairement s’accompagner de lectures et ou de visionnages de contenu de première main de personnes concerné.es racisé.es et handicapé.es. Des ressources sont proposées dans et aussi à la fin de l’article. 

  • Je refuse que cet article soit lu ou partagé à n’importe quel public seul, sans partage et lecture d’autres ressources de personnes concerné.es racisé.es et handicapé.es. Je refuse que ce texte prenne une proportion plus importante au sein de ces lectures et partages que les ressources des personnes concerné.es racisé.es et handicapé.es. 

  • Je refuse que ce texte serve de source à n’importe quel travail de recherche, production ou autre, sans autres sources de personnes concerné.es racisé.es et handicapé.es. Je refuse que ce texte prenne une proportion plus importante au sein de n’importe quel travail de recherche, production ou autre, que les sources produites par des personnes concerné.es, racisé.es et handicapé.es.  

  • Je refuse le moindre paiement à la valeur de ce travail, don ou autre. Je refuse son utilisation et son exploitation à toutes fins commerciales. Je refuse que des bénéfices de quelques natures soient fait de l’exploitation de ce texte même s’il est utilisé dans une visée non commerciale.  

  • Je refuse que mon nom soit associé à ce travail, qu’il soit mentionné au cours de partage ou de lecture, et ce pour palier autant que possible à l’appropriation de la visibilité et de l’espace de parole, et à tout mécanisme de construction et de valorisation de mon image sociale au détriment des concerné.es racisé.es et handicapé.es et de leur travail. 

  • La source, de même que tout autres ressources mises en avant avec ce texte, doit être correctement partagée et rendue accessible pour tout usage de ce travail.   



Il y a quelques temps j’avais réagis sur les réseaux à une décision inéquitable au sujet de l’AAH et témoignant de l’impérialisme et du suprématisme blanc du gouvernement français. J’avais écris un long commentaire que j’ai décidé de reprendre au propre ici, afin de pouvoir y ajouter facilement des sources et mieux organiser mon propos.

Le texte réagissait à une annonce relayée par le compte Ma veille juridique sur Bluesky, faisant état d’une revalorisation de l’AAH (Allocation aux Adultes Handicapés) à effet d’avril 2025. On y apprenait que le montant de l’AAH sur le territoire français actuellement à 1016 euros serait revalorisé, sur la base de l’inflation, de 17 euros, atteignant 1033 euros, tandis qu’à Mayotte le montant de l’allocation serait fixé à 514 euros, avec une augmentation de 8 euros (à noter, je n’est pas inclus les centimes parce que vraiment je m’en bat les couilles). Cette iniquité n’est pas nouvelle entre Mayotte et le reste du territoire et charrie de nombreuses autres inégalités, elle concerne aussi le reste des prestations sociales de l’état, dont le RSA. Le fait que beaucoup de personnes dont moi l’ait découvert à l’occasion de ce poste et des nombreuses réactions d’indignation qu’il a suscité, témoignent d’un certains nombre de méconnaissances, avec en tête : les situations et la gestion des territoires et départements d’outre-mer français et les inégalités sociales économiques touchant ces territoires et les populations racisées en France en général. Certes, la complexité de la législation et de la bureaucratie de l’état n’est pas pour rien dans cette méconnaissance généralisée, mais elle n’est pas la seule mise en cause. En fait cette situation est aussi un exemple démonstratif du mécanisme de l’ignorance blanche. 

Avant de parler plus en avant de tout ça, je tiens à repréciser encore d’où je parle : je suis blanc et handicapé, je vis en France métropolitaine. Je n’ai pas d’expertise particulière à propos de Mayotte, ou sur l’étendue des problématiques et sujets abordés par les différentes luttes antiracistes. Je me renseigne par différents moyens sur ces sujets mais je n’ai pas la compétence pour être totalement exhaustif. Ce texte en l’état regroupe les réflexions provoquées par la lecture du poste initial de Ma veille juridique et nourries par mes connaissances et expériences sur le validisme, ainsi que des lectures et mon apprentissage des problématiques des mouvements antiracistes, et de l’intersection entre le racisme et le validisme. Vous trouverez aussi à la fin une liste de sources et de recommandations permettant d’aller plus loin. 


A propos de Mayotte


Mayotte est un territoire d’outre-mer français, situé dans l’archipel des Comores, entre le Mozambique et Madagascar. Elle a été colonisée par la France en 1841, suivi du reste de l’archipel en 1886. Ce jusqu’en 1975 où les Comores proclament leur indépendance au cours d’un référendum prenant effet dans le cadre de la décolonisation. Mais, le territoire de Mayotte vote majoritairement contre cette indépendance et au cours d’un second référendum acte son appartenance française. En 2011, suite au processus de départementalisation, l’archipel devient un département français.

 

L’histoire de Mayotte, mais aussi sa vie sociale, économique, sa culture, ont été foncièrement impacté par les politiques impérialistes, suprémacistes et coloniales de la France. Aujourd’hui, Mayotte est le département le plus pauvre de France, souffrant d’importantes inégalités sociales et économiques. En chiffre, c’est 77% de la population de Mayotte vivant sous le seuil de pauvreté, un niveau de vie médian 7 fois plus faible qu’au niveau national, 37% de chômage, un prix de la vie environ 15% plus élevé qu’en Métropole, 12,3% de la population ayant eu accès à des études supérieures, 10,2% au bac, 8,4% à un CAP ou BEP, et 68,5% peu ou pas diplômée. L’inégalité se retrouve à tous les niveaux de l’archipel : accès au logement, au travail, à l’éducation, aux soins, un manque conséquent d’infrastructures publics. L’impact de l’insuffisance des infrastructures de soin et de secours s’est particulièrement fait remarquer au niveau national au moment du passage du cyclone Chido. En décembre 2024 un important cyclone a touché Mayotte, mais aussi le reste des Comores, le Mozambique, le Malawi et Madagascar. Aujourd’hui, on ignore encore le nombre réel de victimes causées par le cyclone, en cause le racisme systémique du gouvernement français et ses conséquences au cours de la crise : gestion inéquitable, retard dans les secours, infrastructures inopérantes ou insuffisantes, blocages de matériel et de ressources dont l'envoi n'était pas organisé par l'état, triage de la population et discrimination des sans-papiers, laissés à mourir, raflés, enfermés, déportés. Aujourd’hui, l’état français fait état d’un bilan de 39 victimes, quand on soupçonne des milliers de disparus. Un scandale, que l’état cherche à étouffer par le silence et l’absence de réelles procédures sérieuses de recensement. 39 victimes, et des tas de cimetières à ciel ouvert, des centaines de proches, voisins, familles, déclarés morts ou manquants, des corps emportés et disparus dans la mer. Une catastrophe humaine étouffée par l’état mais dont les conséquences sont bien réelles pour le territoire en grande partie ravagé et ses habitants. 


Le racisme à Mayotte y est structurel et ses inégalités s’articulent entre la population blanche et non-blanche. Les entreprises, les postes à pouvoir, les moyens de productions, les logements décents, vont généralement à une population blanche qui s’accaparent donc la richesse, les moyens économiques, le pouvoir et les biens de l’archipel. De l’autre, les populations non-blanches rencontrent d’importantes discriminations dans l’accès au logement, au travail, à l’éducation, au soin. La population non-blanche est très largement précarisée, touchée durement par le chômage, le mal logement, cantonnée à des emplois précaires. S’ajoute à cela le prix élevé de la vie à Mayotte, de la nourriture, de l’habillement etc. Rendant se faisant très difficilement accessible à la population non-blanche privée d’accès aux ressources économiques les biens de premières nécessités. C’est un schéma d’accaparation et d’appauvrissement assez classique du suprématisme blanc. Le gouvernement et les blancs permettent à d’autres blancs de vivre, de travailler, de se loger, d’accéder à des ressources. Les entreprises tenues par des blancs vont d’abord profiter à des blancs, et les services vont être principalement accessibles à des blancs. De l’autre coté, le gouvernement, le capitalisme et la suprématie blanche organisent la précarité des populations non blanche et décident de leur condition de vie. Des conditions de vie qui sont, bien souvent, des conditions de survie, obtenues par le combat et la résistance des opprimés. C’est dans ce contexte qu’il faut observer l’écart des prestations sociales et ici notamment de l’AAH, entre la métropole et Mayotte. Parce qu’au regard des logiques du suprémacisme blanc, l’on comprends qu’il n’est pas question d’erreur ou d’aberration, il n’y a pas d’accident. Mais, une organisation stratégique, de construction et de maintien de la précarité et de la domination. Et ici par un truchement particulier entre racisme et validisme.   


La double oppression raciste et validiste


L’articulation entre le racisme et le validisme recouvre une large complexité d’enjeux, dont il est impossible de prendre l’entière mesure sans soi-même les éprouver. Ici mes réflexions découlent beaucoup de ce que j’ai pu apprendre en lisant le travail de concerné.es et en les écoutant, ce que je vous encourage vivement à faire. Pour l’intersection entre le validisme et le racisme je vous conseille particulièrement le travail d’Elijah Djaé et d’Harriet de Gouge. Plus globalement, la parole, les discours et réflexions produites par les opprimé.es sont essentiels pour prendre une mesure juste des systèmes d’oppressions dans lesquels nous vivons. Donc allez voir les ressources, regardez et lisez les travaux des concerné.es. 

Aussi, aborder la double oppression du racisme et du validisme implique de faire appel à la notion d’intersectionnalité, développée au départ par les mouvements militants Black Feminist et notamment théorisée par Kimberlé Crenshaw. Notion essentielle et sur laquelle je vous engage à nouveau à lire les travaux sur le sujet. L’intersectionnalité ici permet de mieux appréhender et comprendre comment plusieurs oppressions différentes vont s’articuler pour créer un ensemble d’expériences, situations, vécus, évènements et violences particulières.

 

Notre intérêt se porte ici sur les spécificités des expériences des personnes handicapées non blanches. Là où le handicap et les personnes handicapées sont particulièrement invisibilisées au sein de nos sociétés, la considération des personnes handicapées non blanches est elle quasiment inexistante, sinon dans l’appareil répressif psychiatrique. Alors que par ailleurs, le vécu du racisme est un puissant vecteur de handicap. L’environnement joue un rôle trop souvent sous-estimé (ou ignoré volontairement) dans les causes d’apparition et de développement de handicaps et maladies divers. Ça peut recouvrir entre autres les facteurs suivants : l’exposition d’un territoire et d’une population à certains produits toxiques pendant une période donnée, vivre dans des zones particulièrement exposées à la pollution industrielle, être cantonné.es à des logements insalubres, ne pas avoir les ressources économiques nécessaires pour accéder à une bonne alimentation, ne pouvoir accéder qu’à des emplois avec une forte pénibilité et exposition aux risques, le manque d’accès aux soins, être exposé.es à des violences répétées. Plus globalement, les violences induites par le fait de subir une oppression créées un environnement de vie brutal pour les populations oppressées, et propices aux développements de handicaps. 

Le système de la suprématie blanche va soumettre les populations non-blanches à une grande variété de formes divers de violences, violences qui vont s’exercer avec une forte intensité et récurrence, créant une atmosphère hostile et imposant une pression continue et intense sur les populations oppressées. Ces violences vont impacter à la fois les individus mais aussi les groupes sociaux, tout en s’ancrant dans un contexte intergénérationnel et historique avec une importante charge traumatique. Elles dessinent les contours d’un environnement de vie habité par la violence, coercitif, auquel on ne peut échapper. Pour aborder les violences racistes et leur impact sur la santé mentale et physique des individus, il est vital de comprendre le poids de cet environnement. C’est à dire que dans l’espace public ou privé, dans le cercle intime, amical, professionnel, dans tous les espaces et les instants de la vie et à tous les âges, au sein d’une société suprémaciste l’environnement est constamment violent. Même si à l’instant T il n’est pas traversé par une agression raciste, l’environnement reste constamment teinté par la menace, la peur, le risque, le danger et la charge traumatique, individuelle, collective, historique. Pour pouvoir évoluer dans ces environnements, les populations opprimées se trouvent obligées de mettre en place des stratégies de survie :entre autre, hypervigilance, mécanismes de protection, évitement. 

Pour approfondir ces thématiques, je vous invite à vous rapprocher des contenus produits par les personnes non-blanches, qui abordent une variété de questions essentielles et nécessaires, et qui vous permettront d’approfondir ces sujets à travers des discours de premières mains. Par exemple, je vous recommande le contenu de kriptique.blog qui parle de psychophobie et de racisme. Le travail d’Estelle Depris, autrice militante belge qui fait un incroyable travail de vulgarisation que ce soit à travers le podcast sansblancderien ou son livre Mécanique du privilège blanc. Le livre Petit manuel antiraciste et féministe de Djamila Ribeiro, qui traite plus précisément des questions et enjeux antiracistes au Brésil mais dont le propos reste pleinement pertinent même hors de ses frontières. Plus globalement, écoutez les discours des militant.es concerné.es, regardez les contenus qu’iels recommandent, et vous devriez trouver beaucoup de ressources différentes et dans les formats qui vous correspondront le plus. 


Comme nous avons pu le voir, la suprématie blanche en tant que système de domination conditionne le fait que les populations non blanches évoluent au sein d’un environnement qui leur est particulièrement hostile et donc propice au développement de maladies et de handicaps. Aussi, par le biais de nombreux outils idéologiques permettant sa domination, la suprématie blanche va orchestrer la sous évaluation des causes et des réalités du handicaps au sein des populations non-blanches. Diminution, minimisation, invisibilisation, silenciation, vont accompagner deux autres processus : l’altérisation et la criminalisation. 

Les productions culturelles et les discours médiatiques sont remplis de représentations tronquées, dépeignant le handicap comme une tare, déterminant dans la pensée dominante une forme d’infériorité des personnes handicapées, leur attribuant différentes valeurs négatives : dangerosité, faute morale, inhumanité, faiblesse, improductivité, immaturité etc. Venant justifier ainsi leur exclusion du champ social, les violences à leur encontre et les privations de leurs droits. Les personnes handicapé.es sont totalement déshumanisé.es au travers de l’idéologie validiste. Elles y sont constamment scruté.es, surveillé.es, par le regard valide, qui traque l’écart de la norme, le moindre signe de troubles (psychiques, du comportement etc), immédiatement catalogué comme déviance à réprimer ou corriger. L’idéologie validiste et le regard valide construisent l’effacement même de la perception du handicap et ses expressions sont ensuite identifiées comme une forme de menace, de danger. Le validisme implique de base une ignorance volontaire de la réalité du handicap, une méconnaissance et une crainte fabriquée de toutes pièces de ses manifestations, qui s’applique aussi aux blancs. Le racisme, cependant, va amplifier cette ignorance et impacter les perceptions, la violence du regard, à la fois valide et blanc. 

Ce processus d’altérisation, que l'on retrouve systématiquement dans les mécaniques d’oppressions, s’applique de façon encore plus sévère auprès des personnes handicapées non-blanches. La réalité de leur handicap va non seulement leur être daignée, mais aussi, ses manifestations vont être observées et jugées sous le prisme du racisme et traitées avec un degré supérieur de violence. L’actualité regorge, par exemple, de faits dramatiques de meurtres de personnes racisées handicapées, notamment par la police. Dans ces situations, toujours les mêmes arguments avancés, celui de la dangerosité perçue de l’individu. Cette dangerosité fallacieuse est construite à la fois par l’idéologie validiste, et par la suprématie blanche et ses thèses racistes, profondément ancrées dans la culture occidentale. 


Ainsi, le 12 novembre 2009, Mohamed Boukrourou, ressortissant marocain, souffrant de troubles psychiatriques, a été assassiné en étant battu à mort dans un fourgon de police à Valentigney dans le Doubs, en France.  


Ainsi, le 6 mars 2015, Amadou Koumé, homme afro-descendant atteint de troubles psychiatriques, a été assassiné, étranglé par la police, dans un bar à Paris, en France. 


Ainsi, Jeremy McDole, un homme noir en fauteuil roulant a été assassiné par la police, en pleine rue, le 23 septembre 2015 à Wilmington aux États-Unis. 


Ainsi, Babacar Gueye, un jeune homme noir sénégalais, souffrant de troubles psychiatriques, a été assassiné, abattu par la police au domicile d’un ami chez qui il passait la soirée, le 3 décembre 2015 à Rennes en France. 


Ainsi, le 26 mars 2017, Lui Shaoyao, un homme chinois diagnostiqué avec un “trouble délirant”, un alcoolisme chronique et suivi en psychiatrie ambulatoire, a été assassiné par la police à son domicile devant sa famille, à Paris, France. 


Ainsi, le 4 janvier 2024, Kyllian Samathi, un homme afro-caribéen, souffrant de troubles psychiatriques, à été assassiné dans l’épicerie où il travaillait, par la police, qui lui a infligé 12 décharges de tazer et un tir de LBD, à Montfermeil en France. 


Ainsi, Rony Cély, un homme afro-caribéen, diagnostiqué schizophrène, a été assassiné le 9 janvier 2024 par la police, à Goyave en Guadeloupe, territoire français. 


Ainsi, le 5 avril 2025, Victor Perez, un adolescent portoricain autiste non verbal, a été assassiné, abattu par la police dans le jardin de sa maison, à Pocatella dans l’Idaho, États-Unis. Il est décédé quelques jours plus tard, alors qu’il était dans le coma en soins intensifs. 


Dans chacune de ces situations, un témoin aura perçu des manifestations de troubles ou de handicaps chez des personnes racisées comme une menace et appelé la police, conduisant à leur mort. Un appel aux secours par un proche au cours d’une crise psychotique aura mené à l’intervention de la police, conduisant à la mort. Un suspect racisé recherché par la police sera confondu avec un autre individu racisé, conduisant à sa mort. Cela, parce que la police tue, principalement les personnes racisées, et encore plus spécifiquement, les hommes noirs. Appeler la police en cas de crises psychotiques, d’autant plus si la personne est racisé.e, encore plus si iel est noir.e, aura donc pour conséquence fort probable son meurtre.

    

Les personnes handicapé.es non-blanches subissent les manifestations d’un validisme d’autant plus brutal qu’il est alimenté et s’associe au racisme. Iels ont aussi beaucoup plus de mal à être reconnu.es comme handicapé.es. Si les personnes handicapées non-blanches subissent un traitement encore plus violent par la société validiste, iels ne seront souvent pas non plus reconnu.es comme tel.les par leurs pairs handicapé.es blancs, ni admis au sein de leurs communautés. Si iels le sont, iels se verront attribuer un traitement différencié : iels ne bénéficieront pas du même soutien, de la même considération ou de la même solidarité de groupe. Voir, bien souvent, iels ne bénéficieront d’aucun soutien dans les communautés handis blanches, et leur acceptation au sein du groupe se fera sous conditions : exemplarité, soumission aux normes blanches etc. Les manifestations de leurs handicaps, les expressions de leurs difficultés, de leurs douleurs ou de leurs peines, seront aussi auprès des handicapé.es blancs transformés par la lentille du racisme en acte de violence. Iels seront décorrélé.es du handicap et accusé.es de toute sorte de malversations, de mauvaises intentions, de mécompréhensions, et de validisme. Totalement dénié.es de la reconnaissance de leurs handicaps, iels seront aussi dénié.es de la solidarité, du droit à la compréhension par leur pairs, de la représentation au sein des luttes handis et antivalidistes.  

 

S’ajoute aussi à tout cela les discriminations, dans la prise en charge du handicap, face à l’institution, l’administration et le corps médical. Si ni la société, ni les pairs handis blancs, ne reconnaissent le handicap chez les handis racisé.es, il en va de même évidemment pour le milieu médical et toutes les structures relatives (institutions, administrations, droits etc). Ainsi que pour les institutions hors médicales capables de déceler des troubles, difficultés et d’orienter les individus vers le circuit de soin (école, services sociaux etc). Privé.es de reconnaissances, les handicapé.es non-blancs se trouvent donc aussi privé.es de prise en charge, médicales, administratives, ainsi que des compensations et des droits qu’ouvre la reconnaissance du handicap : RQTH, accompagnement et service d’aide à la personne, aide à la mobilité, PCH, soins adaptés et spécialisés, carte de priorité ou de stationnement, accès à des logements ou des emplois adaptés etc. Et dans tout cela, à l’AAH. 

Dans les faits, à dossier et à handicap égaux, une personne non blanche aura plus de risque de se voir refuser l’accès à l’AAH ou à d’autres prestations compensatoires du handicap, qu’une personne blanche qui verrait son dossier accepté. Il y a donc une inégalité d'accès, de considération et de traitement manifeste, entre une personne handicapé.e non blanche et une personne handicapé.e blanche. De plus, il faut en premier lieu pouvoir même accéder à la demande d’AAH. Il faut soit avoir les informations, les compétences administratives, la connaissance et la compréhension de ses outils et ou l’accompagnement nécessaire pour être guidé à travers ces démarches. Beaucoup de personnes valides n’ont même pas connaissance de l’existence de l’AAH, de ce qu’est la MDPH, de ces choses là. Pour accéder à ces informations, il faut alors un certain bagage ou un accompagnement approprié, deux choses qui ne sont pas distribués équitablement entre les différents groupes sociaux.

 

Au départ de cela, le manque de reconnaissance du handicap, entraine donc invariablement un manque d’accès au soin, un manque d’accompagnement, et ce notamment à la reconnaissance de ses droits. L’idéologie validiste et l’idéologie raciste, entrainent une inégalité et une iniquité face au droit, fabriquent la précarité, et mènent à la systématique déshumanisation, destruction et extermination des personnes handicapé.es non-blanches.   

    


Quelques mythes et réalités du handicap 

    

Aux yeux du grand public, la question du handicap rassemble un grand nombre d’idées fausses, mythes, zones de flous et de globale ignorance. Pour la population valide, manifestation du handicap va de pair avec reconnaissance et aides sociales automatiques (souvent imaginées dans des proportions gargantuesques et bien au-delà de la réalité). On pourrait dire beaucoup de ce genre d’idées au regard de la complexité de l’administration française à laquelle chaque individu se trouve forcément confronté au moins une fois l’année pour les impôts. Ou encore, de cette totale incapacité générale de reconnaitre une personne handicapée dans l’espace, ou de considérer le bien fondé de la moindre demande d’accessibilité. Si l’administratif est difficile pour une personne valide, il n’y aucune raison de penser que ce soit plus simple pour une personne handicapée, ça sera au contraire même plus difficile. Enfin, si le handicap est si dur à percevoir aux yeux du grand public et si toutes ses considérations sont aussi peu reconnues ou prises en compte, il devrait être aussi logique de concevoir qu’être reconnu et accéder à ses droits, aux aménagements et aides nécessaires, n’est pas une chose si aisée. 

 

La reconnaissance du handicap, mais aussi plus largement, des souffrances, douleurs, difficultés et incapacités, constitue souvent un point de départ fondamental : pour disposer des aménagements et aides permettant la vie au quotidien, pour accéder aux traitements médicaux appropriés, pour faire reconnaitre des droits et permettre d’accéder à des conditions de survie minimales. Malheureusement, ce point de départ, qui n’est sensé qu’être une étape sur le parcours, se transforme trop souvent en une ligne d’arrivée inatteignable. Son chemin se trouve pavé d’obstacles, d’une grande diversité et dont les origines sont à retrouver dans nos systèmes de vie : patriarcat, racisme, suprémacisme, capitalisme, classisme, âgisme, validisme. Étroitement liés, ils servent une cause commune, la construction et le triage de catégories de populations et le pouvoir et l’exploitation des uns sur les autres. Valorisation de la surproductivité, de la performance et du virilisme ; minimisation et mépris globale des enfants, de leur difficultés, de leur paroles, de leur douleurs, de leur besoins ; apprentissage de la répression émotionnelle, violences dites “éducatives”, familiales, injonctions et intériorisations diverses “à prendre sur soi”, “encaisser”, “se taire”, en fin de compte à toujours se soumettre ou à soumettre les autres ; empathie absente (voir même diabolisée et sanctionnée) de nos rapports et apprentissages sociaux ; maltraitances et errances médicales ; perception négative de la faiblesse, expression de la plainte découragée et sanctionnée ; injonction systématique à la positivité, au care comme méthode d’auto-contrôle, d’auto-silenciation et d’auto-conditionnement ; psychiatrisation et pathologisation de toutes protestations sociales des groupes dominés ; pathologisation de comportements et ou d’identité ne correspondant pas aux structures et normes sociales ; préjugés racistes et sexistes etc. une liste non exhaustive qui pour chacun de ces éléments pourrait mobiliser des pans entiers de productions de savoirs militants. 

 

Comment être reconnu.es alors ? Quand la reconnaissance demande d’être écouté.e, quand elle demande d’être attentif, ouvert, empathique avec autrui. Quand elle demande que l’école et la famille ne sanctionnent ni ne minimisent la plainte, la faiblesse, les troubles dits “du comportement”. Quand être soigné.e relève si souvent du parcours du combattant, quand il faut des années parfois pour qu’un médecin prête une réelle attention à des problèmes de santé et mène les examens nécessaires. Des années pour obtenir un diagnostic, à errer, parfois dans la peine, la douleur, entre des praticiens maltraitants, des accusations de mensonges, de victimisation, des dénis et des minimisations, sur fond de racisme et de sexisme. Quand des problèmes physiques sont ignorés et catalogués en stress, que la douleur devient un argumentaire pour le contrôle psychiatrique, sans aucune recherche, aucune proposition de palliatif, juste la menace de l’établissement psychiatrique. Quand les manifestations de troubles psy, pourtant punies largement par la psychiatrie et ses institutions de torture, deviennent des “c’est dans votre tête” dans n’importe quel cabinet de médecin. Quand la maladie n’existe pas le lundi, mais qu’elle justifie le jour suivant privations de droits et actes de torture. Quand on présuppose que l’autisme n’existe pas chez les femmes, qu’elle sont majoritairement bipolaires, et que les noirs eux sont schizophrènes. Qu’on fait du diagnostic au faciès. Qu’on pense que les femmes exagèrent systématiquement, qu’elles mentent. Qu’on apprend encore sur les bancs de l’école de médecine ou dans les couloirs des hôpitaux que les noir.es, et plus particulièrement les femmes noires, exagèrent leur douleur, ou encore, n’ont pas la capacité d’en ressentir. Quand on considère qu’une maladie qui devrait être présente dès l’enfance ne peut pas se manifester chez un adulte qui n’a pas été diagnostiqué par le passé. Quand de l’autre il est fait si peu cas de la santé et des difficultés de beaucoup d’enfants, et quand être racisé ou sexisé prive même dès l’époque du jardin d’enfance des diagnostiques réservés aux garçons blancs. Quand les patient.es délaissé.es depuis parfois des décennies prennent en main leur santé avec leur propre moyens, quand iels trouvent des pistes grâce à leur pair.es, et ne sont traité.es qu’avec dédains et mépris par la médecine. Quand iels sont accusé.es de toutes les malversations possibles car iels osent proposer une piste diagnostic, les discréditant d’office d’être entendu.es. Quand on traite de mode les augmentations de diagnostiques et d'auto diagnostiques de certaines maladies, lorsqu’elles sont simplement purement délaissées par la médecine, ou que leur reconnaissance est réservée à un public réduits.        

 

C’est contre tout cela et plus encore, qu’il faut parfois lutter pour ne serait-ce qu’être soigné. Il faut lutter plus quand on est une femme, encore plus quand on est une femme racisée. Il faut lutter quand on est un homme noir. Il faut lutter quand on est pauvre. Il faut lutter quand on vit dans un désert médical. Il faut lutter, parfois des années, parfois en vain, pour des soins. Il faut lutter tout en étant violenté.e, par l’entourage, par l’école, par le travail, par les médecins, dans la rue. Il faut lutter, avec et malgré, les souffrances, difficultés, délires, douleurs. Parfois pour rien. Mais, si par chance, par un incroyable coup du sort, une personne handicapé.e arrive enfin à être reconnu.e et soigné.e, alors s’entame une autre bataille. Celle des institutions. Demande d’AAH, de PCH, de RQTH, d’aide à la mobilité, d’aide au quotidien etc. En premier lieu, il s’agit toujours d’avoir connaissance à la fois de l’existence de ces aides, et de ses propres droits. Parfois, c’est un médecin directement qui informe le patient de ses droits, voir même l’accompagne dans les bonnes démarches. Parfois, un membre de la famille ou de l’entourage, concerné lui-même ou versé dans les procédures administratives, aide et guide à travers les longues listes d’acronymes et les dossiers de dizaines de pages. Souvent, ce sont les pairs handis, les militant.es, leur article, pages internet, comptes instagram, vidéos youtube, qui informent quant à ses droits, où et comment les demander et qui explique aussi parfois comment obtenir de l’aide pour faire ces demandes.

 

La démarche ? Un dossier et ses appendices, fournir un certificat médical spécifique de son médecin, tant pis si le médecin refuse de le remplir parce qu’il n’aime pas la paperasse, parce qu’il ne pense pas que la demande est nécessaire, tant pis s’il ment sur le certificat, s’il donne des informations approximatives ou tronquées, s’il déforme vos propos, s’il nie vos besoins et difficultés. En accompagnement, fournir le plus de ses documents médicaux : “Les quels il faut donner ? ah il fallait les garder ? On ne me rend jamais tel document, oui mon ancien médecin est sensé me fournir mon dossier médical si je le demande mais il ne me répond pas, ce médecin est à la retraite, il faut faire une demande, à quoi ? A l’ordre des médecins ? Je n’arrive pas à avoir un suivi psychiatrique, aucun médecin ne prend de nouveau patient”... Le dossier, ensuite, fait 20 pages à lui tout seul, 6 catégories y sont réparties : Identité et documents à joindre obligatoires, vie quotidienne, vie scolaire ou étudiante, situation professionnelle, expression des demandes de droits et prestations, vie de votre aidant familial. A remplir selon ce qui correspond à notre situation bien sûre. Il faut naviguer ensuite entre les acronymes, comprendre ce qui relève de la PCH, du complément de ressources. Et qu’est-ce qu’il faut mettre dans le projet de vie ? Comment le remplir ? Qu’est-ce que recouvre exactement l’accompagnement vers l’emploi, va-t-on vous foutre en ESAT sans aucun droits du travail pour être exploité.e, fliqué.e et sous-payé.e si jamais vous cochez la mauvaise case ? Et le suivi en établissement médicosocial ? Est-ce qu’on vous laissera libre de vous-même ? Ou serez-vous soumis.e à un contrôle constant du pouvoir médical ? Utilisez-vous le bon vocabulaire, dites-vous les bonnes choses pour que votre demande soit acceptée ? En dites-vous trop ? Donnez-vous l’air de ne pas être assez autonome et risquez-vous de vous trouver orienté.e vers un logement “thérapeutique” et une mise sous curatelle ? A quel point réclamer vos droits risque de vous en enlever ?

 

Après avoir rassemblé, imprimé, envoyé un dossier de 30 à 50 pages, voir plus, à vos frais, votre demande doit encore passer en commission, vue et jugée par un comité de médecins qui décidera de votre sort. Là encore, sexisme, racisme, classisme, âgisme, et préjugés en tout genre, orientera le jugement et la décision. 6 mois d’attente, parfois plus, parfois des années, à renvoyer recommandé sur recommandé, toujours à vos frais, pour rappeler que la date limite de réponse est dépassée depuis plusieurs semaines, mois. Peut-être devrez-vous plaider votre cause en convocation devant un médecin de la MDPH. Peut-être devrez-vous saisir le tribunal et les instances de justice, payer un avocat de votre poche. Tellement d’individualités, de personnes qui vous sont totalement inconnues, qui sont traversées d’autant de biais, de préjugés, pour statuer sur votre sort, décider de votre vie. Ni plus ni moins qu’un jeu de hasard avec des dès pipés. 

 

Au terme de ce fastidieux et inégal processus, vient donc le point de départ de notre propos : l’AAH. 1016 euros revalorisé à 1033 euros en France métropolitaine, et 514 seulement à Mayotte (j’en ai toujours rien à foutre des centimes), c’est à dire moins que le RSA en métropole. Qui lui-même ne permet pas la vie digne, et à peine même la survie. Sensé être un enjeu des luttes sociales, le RSA est devenu l’instrument d’une police économique qui n’a plus grand chose à voir avec la solidarité ou la communauté. Un outil de contrôle et de flicage des pauvres, entre les mains d’un autre enfer administratif et volontairement dysfonctionnel, la CAF. En prime, les handi.es dont les demandes sont refusées, ou qui sont en attentes d’une décision, ou encore qui n’ont pas les outils, connaissances, capacités pour entreprendre les démarches, se retrouvent aussi, très souvent, au RSA. Iels y bénéficient ainsi du même flicage, et de la même pression à l’exploitation capitaliste. Enfin, 1033 euros, c’est encore sous le seuil de pauvreté, fixé à environs 1216 euros. C’est considérer et transmettre le message, que les handicapé.es ne méritent pas mieux que la précarité et la lutte intense pour leur survie. C’est organiser, au niveau de l’état même, et de ses instances, cette précarité. Personne, en réalité, ne mérite la précarité, personne ne mérite la déshumanisation et la soumission à l’exploitation, personne ne mérite de devoir lutter constamment pour sa survie, ni en France ni ailleurs. Et s’ajoute encore à ce tombereau d’inégalités, le coût de la vie bien plus élevé pour les personnes handicapées, une réalité ignorée, souvent à dessein. 


C’est un autre de ces mythes, après la reconnaissance et les aides automatiques, l’idée que tout serait gratuit : Aides à la mobilité, traitements, transports, aides de vie, vie quotidienne etc. A noter d’abord, que pour chaque aide ou soin dont il est fait la demande, afin de l’obtenir par un parcours classique et de pouvoir être remboursé totalement ou en partie, sera effectué une évaluation de la pertinence de la demande par la pouvoir médical. Ce dernier, toujours extérieur à la personne, à la réalité de son vécu, de son quotidien, biaisé par tous les préjugés que nous avons pu lister précédemment, aura toute autorité pour juger du bien fondé de telle aide ou de tel soin. Il sera libre donc de refuser sous n’importe quel prétexte ce qui constitue pourtant un besoin essentiel à la personne handicapé.e. Ensuite, les “avantages” économiques qui peuvent être obtenus grâce à la reconnaissance du handicap, réductions, remboursement etc. sont largement contrebalancés par de nombreux coûts plus ou moins cachés. 

 

Les aides de vie et les aides à la mobilités, sensées permettre l’autonomie et garantir l’accès à une vie digne, sont remboursées ou prises en charge dans certains cas ou dans certaines mesures établies arbitrairement, mais pas dans d’autres, ou alors seulement en partie. Certaines aides à la mobilités spécifiques comme par exemple les fauteuils roulants ou véhicules adaptés, qui sont proposés avec une gratuité partielle ou un remboursement, laissent souvent un assez grand reste à charge que doit débourser l’usager. Pour un fauteuil on parle parfois de plusieurs centaines et même milliers d’euros. Les versions remboursées, aussi, vont proposer un certain nombre d’options très onéreuses et non prises en charges, mais souvent nécessaires aux situations de nombreuses personnes. Pour beaucoup, sans ces options, le fauteuil en tant qu’outil de mobilité est incomplet voir inopérant. Le droit à l’accessibilité est toujours pensé par les valides, sous leur autorité, qui décident de ce dont les personnes handicapé.es ont besoin ou non, au mépris des réalités et laissant toujours à la charge des concerné.es le fait de compenser leur négligence. Si le fauteuil est un exemple démonstratif, le problème est retrouvable dans de nombreux autres cas, dans des proportions parfois moindres ou similaires. Beaucoup d’aides à la mobilité dans leur version les moins onéreuses ou gratuites, seront parfois dangereuses ou inopérantes, quand elles n’existent tout simplement pas. 

 

Concernant les traitements et les soins, certains soins prescrits sont remboursés, parfois avec un reste à charge, parfois non. Mais, certains soins, médicaments, bien que recommandés ou prescrits, ne sont pas remboursés et sont encore une fois payés de la poche des usagers. Par exemple, les séances avec un psychologue. Aussi, reste à considérer la part forfaitaire, pour tout acte médical, même remboursé, restera à votre charge une petite part forfaitaire à payer. Elle parait souvent si anodine qu’elle a tendance à passer inaperçue. Si vous êtes valide et n’avez par exemple que 5 actes médicaux dans l’année, votre part forfaitaire sera insignifiante et vous ne vous en rendrez probablement pas compte, vous ignorerez même son existence. Mais si vous êtes handicapé.e, que vous avez en moyenne 5 actes médicaux par mois, la part forfaitaire devient sur l’année une part assez encombrante d’un budget de soin déjà alourdi.

 

A cela s’ajoute, le prix économique du handicap. Un peu comme une taxe rose, le handicap amène des coûts supplémentaires dans de nombreux aspects de la vie de tous les jours. Véhicules plus chers, transports en commun inaccessibles ou inadaptés entrainant des dépenses supplémentaires pour le droit de se déplacer. Services d’accessibilités des transports, notamment ferroviaires, maltraitants, dysfonctionnels et déshumanisants. Offre d’habitations adaptées réduite, lois et règlements sur l’accessibilité non appliquées ou mal appliquées, malfaçons nombreuses, prestataires imposés sans droit de regard, délais de plusieurs années pour un logement social. Refus des bailleurs de louer à des personnes handicapé.es statistiquement largement précarisé.es, les forçant à vivre dans des logements inadaptés, bons marchés et insalubres, aggravant leur condition de santé. Ou alors, les reléguant faute de choix à la vie dans la rue, encore plus nocive au bien être global, à la santé et à l’intégrité de l’individu. Logements, dis thérapeutiques ou encadrés, coercitifs et maltraitants, privant de leur autonomie, de leur liberté et de leur droits leur usagers. Zones et espaces inaccessibles, privant du même accès aux personnes handicapé.es lieux et services pourtant soumis à la loi concernant l’accessibilité dans l’espace public, mais dont une amende forfaitaire permet facilement de déroger. Les handi.es se voient alors relégué.es de fait dans des espaces réduits, avec un accès lui aussi réduit aux offres de services et donc, à la diversité économique. De fait, iels sont forcé.es, bien souvent, de débourser plus d’argent, pour tout un tas de choses du quotidien. 

 

Prenons par exemple les courses, valides comme handicapé.es dépendent pour se nourrir, se vêtir, et pour tout un tas de commodités de la vie moderne, de services proposés par le capitalisme : Accès à des centres commerciaux, magasins, proposant différentes gammes de prix, moyens de s’y déplacer etc. Mais aussi choix design et marketing de l’environnement des grandes surfaces commerciales : changement fréquent de rayonnages, musiques et lumières fortes et envahissantes, galeries commerciales complexes et interminables, spots publicitaires en rayons, surcharges d’éléments et informations difficiles à lire etc. qui poussent à la surconsommation en surchargeant ses clients de stimuli et en perturbant sa capacité à s’orienter. Du fait de l'inaccessibilité globale, certaines personnes handicapé.es se verront imposé.es une certaine zone périphérique à leur lieu d’habitation pour faire leur course, avec des magasins d’appoints, beaucoup plus chers que l’offre des centres commerciaux. Ou alors, ils devront faire appel à des services de livraison, payants dans beaucoup de cas. Leur accès aux différentes enseignes et à la variété d’offres économiques se voit réduit. Se rendre dans un centre commercial à contrario aura un coût élevé sur la santé, dont l’impact se répercutera durablement sur la qualité du quotidien et de la vie. 

 

La liste est longue, et l’on n’a parlé dans cette dernière partie principalement que d’économie. Si l’on a abordé les violences des prises en charges, des “soins”, du contrôle global, des corps, des esprits, des identités, de tous les aspects du quotidien, ce n’est que succinctement et en surface. A tous ces traitements inhumains, à ces inégalités profondes et nombreuses, s’ajoute toujours l’oppression de la race, du genre et de la classe : La triple oppression, telle que l’entendaient les militant.es socialistes et communistes afro-américain.es du début du 20ème siècle, comme Claudia Jones et Louise Thompson Patterson. Ces oppressions conjointes, comme on a pu l’expliquer précédemment, feront naître de nouvelles formes de violences et de coercitions, et de privation de droits. 


En conclusion, la constatation de l’inégalité flagrante, autour de la question de la “revalorisation” de l’AAH, et toutes les ramifications, constats et réflexions, qui peuvent y être reliées, est un témoignage renouvelé de l’oppression orchestrée par les systèmes : coloniaux, racistes, impérialistes, de la suprématie blanche, du capitalisme, qui y est intimement lié, du patriarcat, et du validisme. Elle est un maillon, dans un tissu global d’inégalités, organisant la soumission, l’asservissement, l’exploitation, la destruction de groupes, considérés et construits comme population à dominer. Un système bien rôdé et protégé, par tout un tas d’outils, telle que l’ignorance organisée et institutionnalisée. Dont l’ignorance blanche est un cas particulièrement démonstratif, de structures et projets éducatifs à vocation de pervertir jusqu’à nos perceptions de la réalité. Un système protégé, par les mythologies fictives, construites par les malversations d’une histoire toujours écrites par  les dominants et marquée par le sceau de leur objectivité. Une objectivité factice, construite puis sanctifiée. Des mythologies sociales, propagées et fabriquées aussi, par les productions culturelles et les discours médiatiques, institutionnels, éducatifs, propagandistes. 

Un système protégé par l’œuvre de la déshumanisation constante, de l’altérisation, de l’invisibilisation, et aussi, d’un désintérêt global, voir d’une inimité, une hostilité acquise, passant pour naturelle et universelle, envers autrui. Enfin, l’œuvre d’un travail de sape constante, quasiment civilisationnel, de toute pensée et discours éthique, de toute qualité empathique, de tout comportement et mode de vie s’associant de trop près à la communauté, à la solidarité, au vivre ensemble, et en fin de compte, de toute démarche, volonté, désir d’intégrité. 


Lexique


sigles :

AAH : Allocation Adulte Handicapé (versée par la CAF sous décision de la MDPH)

RQTH : Reconnaissance de la Qualité de Travailleur Handicapé (octroyée sous décision de la MDPH, vous permet d’être un peu plus discriminé à l’embauche)

PCH : Prestation de Compensation du Handicap (octroyée par la MDPH, personne comprends trop comment ça marche)

ESAT : Établissement ou Service d’Aide par le Travail (lieux d’exploitations où les handicapés travaillent dans un cadre soi disant protégé mais en fait bof, le tout sans aucun droit du travail, considéré comme usager et contrôlé et fliqué par les “soignants”, voir par exemple “Handicap à vendre” de Thibault Petit)

MDPH : Maison Départementale pour les Personnes Handicapées (service administratif gérant à peu près tout ce qui à rapport avec le handicap administrativement) 

CAF : Caisses d’Allocations Familiales 

BEP : Brevet d’Études Professionnelles (type de qualification en France)

CAP : Certificat d’Aptitude Professionnelle (type de qualification en France)


terminologie militante sur l’antiracisme :

Mysoginoir : Misogynie racialisée envers les femmes noires, concept élaboré entre autre par Mona Bailey et qui repose sur la théorie de l’intersectionnalité

Intersectionnalité : Notion développée par le Black Féminism au 20ème siècle, théorisée notamment par Kimberlé Williams Crenshaw, elle consiste en l’étude, la description et l’analyse des réalités sociales complexes du fait des interactions entre différentes oppressions 

Racisé : être assigné à une race sociale, c’est à dire un groupe ciblé par le racisme et la domination de la suprématie blanche

Afro-descandant : Désigne des personnes d’ascendance africaine, appartenant à différentes cultures issues du continent africain, mais qui ne sont pas forcément nées en Afrique, qui descendent par exemple d’anciens esclaves et de communautés diasporiques

Afro-caribéen : Désigne des personnes d’ascendance africaine nées, vivants, ou descendant de personnes vivant ou ayant vécu dans un pays des Caraïbes


terminologie militante sur l’antivalidisme :

Valide : dont le corps, son apparence, son fonctionnement global, corresponds aux normes sociales hégémoniques et est donc considérés comme sain et fonctionnel 

Antivalidisme : Mouvement de lutte contre le validisme, c’est à dire contre l’oppression systématisée, l’exclusion et les violences envers les personnes handicapées et plus largement perçues comme hors des normes sociales, comportementales etc, pour des raisons attribuées à l’état global de santé  

Sanisme : La psychophobie ou sanisme est une oppression et discrimination systémique envers des personnes présentant un trouble psychique ou n’importe quelle condition mentale stigmatisée, plus largement le sanisme valorise une norme, psychologique, psychiatrique etc. et discrimine tout ce qui est hors de cette norme. En cela l’anti-validisme et l’anti-psychophobie cherchent non seulement à faire cesser l’oppression des personnes concernées et les violences à leur encontre, mais aussi à abolir les normes validistes et sanistes qui décident arbitrairement de ce qui fonde la valeur, la moral, l’intégrité d’un individu sur un modèle unique, hégémonique et normé, de l’être bien portant et valide, en opposition à celui qui ne le serait pas 


Sources 


Ces 4 premières sources regroupes mon post initial sur blusky, le post de VeilleJuridique, et 2 articles du site Ma Veille Juridique présentant les décrets en question sur l’AAH :

https://bsky.app/profile/calamity-james.bsky.social/post/3llmhnzvz722y

https://bsky.app/profile/veillejuridique.bsky.social/post/3lllqogp5wc2f

https://ma-veille-juridique.com/decret-n-2025-298-du-29-mars-2025-portant-revalorisation-de-lallocation-pour-adulte-handicape-a-mayotte/

https://ma-veille-juridique.com/decret-n-2025-297-du-29-mars-2025-portant-revalorisation-de-lallocation-aux-adultes-handicapes/


Ces 2 sources font état de la différence d’attribution du RSA entre la métropole et Mayotte :

https://ma-veille-juridique.com/decret-n-2025-296-du-29-mars-2025-portant-revalorisation-du-montant-forfaitaire-du-revenu-de-solidarite-active-a-mayotte/

https://ma-veille-juridique.com/decret-n-2025-293-du-29-mars-2025-portant-revalorisation-du-montant-forfaitaire-du-revenu-de-solidarite-active/


cette source offre un comparatif global des prestations délivrées par la CAF entre la métropole et Mayotte :

https://www.caf.fr/sites/default/files/medias/974/PARTENAIRES/Statistiques%20et%20etudes/Analyse%20et%20etude%20Caf%20outremer/ANALYSES%20ET%20ETUDES%20-%20n%C2%B01%20supple%CC%81ment%20976.pdf


Page statistique sur la vie à Mayotte relevant différents indicateurs avec un comparatif avec la vie en Métropole et les autres départements d’outre mer français :

https://www.insee.fr/fr/statistiques/4632225


Plusieurs témoignages, résumés, analyses de situations diffusés sur les réseaux sociaux au moment du passage du cyclone Chido à Mayotte :

https://www.instagram.com/p/DEF9FYlNjtx/?hl=fr&img_index=1

https://www.instagram.com/p/DEF9KsCtJFa/?hl=fr&img_index=1

https://www.instagram.com/p/DEF9QQdNU8o/?hl=fr&img_index=1

https://www.instagram.com/p/DD0Jl7XNO3L/?hl=fr

https://www.instagram.com/p/DD0Lvg3tZyK/?hl=fr


Différents articles d’analyses, résumés, enquêtes, entretiens, à propos de la situation à Mayotte suite au passage du Cyclone Chido :

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/100225/mayotte-les-ong-font-le-job-de-l-etat

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/050225/mayotte-les-morts-de-chido-sont-tombes-aux-oubliettes

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/studio/portfolios/dans-les-decombres-de-mayotte-quand-l-aide-n-arrive-pas

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/291224/l-etat-c-est-un-fantome-mayotte-une-population-livree-elle-meme

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/231224/mayotte-le-spectre-des-epidemies

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/231224/mayotte-le-soupcon-de-vies-sacrifiees-apres-le-cyclone-chido

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/181224/l-etat-est-percu-comme-une-menace-la-crainte-du-piege-pour-les-sans-papiers-ingredient-du-drame-de-mayotte

https://www-mediapart-fr.bnf.idm.oclc.org/journal/france/161224/mayotte-un-drame-ecrit-d-avance


Différentes sources au sujet des violences et meurtres commis par la police sur des personnes handicapé.es racisé.es :

https://attorneygeneral.delaware.gov/executive/wilmington-police-report/

https://france-handicap-info.com/international/amerique/245-etats-unis/3311-un-handicape-noir-tue-par-balles-par-des-policiers-americains

https://abc7.com/post/autistic-teenager-victor-perez-shot-idaho-police-dies-being-removed-life-support/16163330/

https://www.nbcnews.com/news/us-news/family-victor-perez-disabled-17-year-old-shot-dead-police-intend-sue-c-rcna201685

https://www.streetpress.com/sujet/1743521893-rony-cely-kyllian-samathi-amadou-koume-personnes-souffrance-psychologique-mort-tuer-police-intervention-paris-maurepas-montfermeil-dugny-aulnay-psychiatrie-soin

https://www.ouest-france.fr/region-guadeloupe/departement-de-guadeloupe/un-trentenaire-tue-par-les-gendarmes-en-guadeloupe-un-collectif-cree-pour-soutenir-la-famille-605cbe54-b6c0-11ee-95de-219f489f3c47

https://www.streetpress.com/sujet/1495554039-morts-victimes-police

https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/20/mort-d-amadou-koume-a-la-suite-de-son-interpellation-trois-policiers-condamnes-a-quinze-mois-de-prison-avec-sursis_6142397_3224.html

https://www.streetpress.com/sujet/1569403926-famille-liu-shaoyao-tue-par-police-reclame-verite-justice-violence-communaute-chinoise

https://www.liberation.fr/france/2018/03/25/shaoyao-liu-un-an-apres-deux-versions-pour-une-interpellation-mortelle_1638774/

https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/11/27/la-mort-suspecte-dans-un-fourgon-de-police-de-mohamed-boukrourou_1272972_3224.html

https://www.streetpress.com/sujet/1459871556-babacar-Gueye-5-balles-police-rennes

https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/montfermeil-lincomprehension-regne-apres-le-deces-du-vendeur-de-lepicerie-lors-dune-interpellation-06-01-2024-TD2CHA6NTJDGHD47CE6YTV5QHY.php

https://www.instagram.com/streetpress/p/DH-vJ2Ns9T6/?img_index=3

https://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/interpellation-mortelle-a-montfermeil-le-parquet-ouvre-une-information-judiciaire-contre-x-12-01-2024-GD54IRSX5JGBFFWUCO2DSTTJBQ.php


3 articles parus sur le blog kriptique sur l’intersection entre racisme et validisme, sources essentielles et à lire absolument :

https://kriptique.blog/2023/09/28/les-luttes-anti-validistes-noires/

https://kriptique.blog/2023/08/12/obtenir-un-diagnostic-est-un-privilege/

https://kriptique.blog/2023/06/18/blanchite-psychophobie-et-rationnalite-blanche/


Post insta à propos de l’autisme chez les personnes noires, donne un exemple très pertinent des différences dans les manifestations de troubles entre personnes racisées et personnes blanches et de comment les comportements autistiques chez les noirs ne sont pas perçues comme une manifestation de handicap par les handis blancs, à consulter absolument :

https://www.instagram.com/p/CjvM9_FDoud/?img_index=1


Différentes sources à propos de la réforme du RSA et des atteintes aux droits humains, et de son impacte notamment sur les personnes les plus précarisées et les personnes handicapées :

https://bsky.app/profile/valkphotos.bsky.social/post/3ldxcqgputk2z

https://www.cncdh.fr/actualite/le-rsa-conditionne-une-atteinte-aux-droits-humains

https://www.atd-quartmonde.fr/actualites/generalisation-de-la-reforme-du-rsa-conditionne-les-inquietudes-datd-quart-monde/

https://www.unsa.org/L-UNSA-alerte-sur-les-decrets-de-la-loi-plein-emploi.html

https://www.ldh-france.org/wp-content/uploads/2024/10/Premier-bilan-des-experimentations-RSA-SCCF-ATD-AequitaZ-10-2024.pdf


Fil à propos du prix économique des fauteuils roulants :

https://bsky.app/profile/hparadoxa.bsky.social/post/3llrmsnendc2c


Pour aller plus loin 


Textes et essais :


  • Djamila Ribeiro, Petit manuel antiraciste et féministe

  • Estelle Depris, Mécanique du privilège blanc

  • Reni Eddo-Lodge, Le racisme est un problème de blancs

  • Angela Y. Davis, Femmes, race et classe

  • bell hooks, ne suis-je pas une femme, femmes noires et féminisme

  • Kimberlé Crenshaw, Demarginaling the intersection fo race and sex : A Black Feminist Critique of Antidiscrimination Doctrine, Feminist Theory and Antiracist Politics 


Vidéos et podcasts : 




Comptes insta :



Blogs, articles, analyses :





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