Un bien étrange chat (5 mots : chat, clé, ombre, rêve, trésor)
La plus part des habitués de l’avenue de Rose Street, ainsi que tous les habitants du quartier, connaissaient très bien Clochette, dont le tintement doux précédaient les pas, alors qu’elle se glissait comme une ombre, invisible aux yeux de tous, sinon pour le son caractéristique du pendentif accroché à son cou. En réalité, il était rare de vraiment pouvoir avoir un aperçu de près de l’étrange animal. On l’entendait passer non loin, courir dans une ruelle juste à côté, se faufiler sur un toit, grimper par une fenêtre, parfois même frôler les grandes tiges longilignes qui servaient aux humains pour se déplacer. Mais, aussitôt que l’on se retournait vers l’origine du bruit, à peine regardait-on au sol où l’on était sûr de l’avoir senti passer près de nous, les poils fins chatouillant les mollets nus sous les pantalons aux bas décousus, que le félin noir avait disparu. Il ne restait que le souvenir du tintement léger et une ombre que l’on n’attrapait toujours que du coin de l’œil. Clochette n’était pas un chat comme les autres.
Si peu de gens s’intéressaient réellement au mystère pour pousser plus avant, quelques bons samaritains s’étaient inquiétés au sujet de l’animal et avaient recherché son propriétaire. Mais le chat ne pouvant ni être pris ni être vu, leur vaines tentatives ne rencontrèrent que des échecs. Ils finirent donc par cesser leurs enquêtes, trouvant à leur questions quelques hypothèses logiques qu’ils estimèrent être des réponses acceptables bien qu’elles ne purent jamais être vérifiées. Il devait être un de ces chat errants, traînant dans le quartier, se nourrissant des poubelles des restaurants et des boulangeries, ou bien l’animal sauvage vivait dans un de ces appartements aux fenêtres souvent ouvertes l’été, il devait sortir au matin et sans doute rentrer au soir chez son propriétaire. Si aucun des passants de Rose Street n’avait pu vérifier l’exactitude de ces hypothèses, ils n’avaient pourtant pas eu entièrement faux.
Clochette était un chat étrange possédée par un propriétaire étrange, un vieil homme qui vivait au fond de Merl Street et qui croisait Rose à deux immeubles de là. Monsieur Hannighan était un individu pour le moins mystérieux, et là où l’animal noir était une ombre pour les habitants de Rose Street, Monsieur Hannighan, lui, n’existait tout simplement pas. Personne ne connaissait son nom ou ne l’avaient jamais vu sortir de chez lui, il n’avait aucune famille ou amis connus, il semblait plus âgé que le monde et celui-ci semblait totalement ignorer son existence ainsi que sa présence dans l’appartement 6 du rez-de-chaussée du numéro 48. On ne se demandait pas comment il faisait pour faire ses courses, ses voisins ne venaient pas lui rendre visite parfois pour s’assurer que tout allait bien, puisque tous ignoraient que quelqu’un vivait même là. Monsieur Hannighan n’était pas un homme comme les autres, à l’instar de Clochette qui se faufilait la nuit par le bas de la fenêtre entrouverte, le pendentif à son cou tintant légèrement.
« Selma, tu as passé une bonne journée ? » Interrogea le vieil homme. Le chat miaula une fois et alla s’asseoir sur le bureau où était attablé Hannighan, les yeux serrés par l’effort alors qu’il était penché sur un grand volume couvert d’écritures manuscrites absolument illisibles. L’homme souffla et recula un instant, étirant ses bras maigres, chaque mouvement provoquant d’étranges et inquiétants craquements. Il caressa la tête du chat qui enfonça son museau à l’intérieur de sa main et ses doigts glissèrent le long de son cou pour saisir dans sa paume le bijou noir bordé d’or en forme de losange. Il secoua la tête et passa une main fatiguée sur son visage. Le chat sauta du bureau et alla trouver une gamelle pleine de viande dans un coin de l’appartement où s’entassaient une quantité volumineuses de vieux livres remplis d’écritures étranges.
« Je devrais cesser de lire ces inepties... » Maugréa-t-il, repoussant le livre ouvert devant lui et se levant, prenant appui sur une longue canne sculptée dans un bois fin et précieux semblable à de l’acajou.
« Ce n’est pas dans les livres que nous trouverons ce qui nous intéresse Selma, cette fichue porte… » Il jeta un regard orageux au battant de bois simple dont la facture détonnait avec tout le reste de l’appartement tout à fait bien ouvragé. Le chat leva la tête vers lui et fit quelques pas dans sa direction, s’asseyant devant lui avant de pousser un miaulement aigu.
« Ça ne sert à rien de posséder la clé si on ne sait pas s’en servir, regarde à quoi l’objet de toutes nos convoitises, de tous nos rêves est rendu, une breloque sur un collier. » Clochette se frotta entre ses jambes en ronronnant, le vieil homme força un sourire et caressa la croupe de l’animal.
« Tu es un bien aimable compagnon pour un vieil homme grincheux. Des fois j’ai l’impression que la réponse se trouve juste devant nous, tous les trésors, les espoirs, les malheurs, tous ce que nous avons toujours recherché est là, derrière cette porte. Et je n’arrive pas à trouver le moyen de l’ouvrir. Je suis un maître des arts des enchantements et des sortilèges depuis plus de mille ans et regarde moi devenir délirant et sénile et me demander au moins cinq fois par jour si tout simplement la porte n’est pas en fait simplement ouverte et tenter de l’ouvrir. » En disant cela l’homme marcha une nouvelle fois vers la vieille porte de bois simple, ses mains se posant avec désespoir sur le battant, il respira lourdement et posa sa main sur la poignet, elle s’abaissa. Le chat poussa un miaulement derrière lui et il se retourna avec rage, retournant dans une enjambée furieuse jusqu’à son bureau.
« Fermée, toujours fermée, satanée porte. » Il s’attabla à nouveau, les yeux serrés et sa tête penchée sur le lourd volume posé devant lui. Le chat retourna à sa place, ronronnant dans le petit panier d’osier rembourré de coussins posé près de la porte en bois. Selma se plaisait en fait bien chez monsieur Hannighan, et elle n’était pas prête à lui laisser ouvrir la porte de la cave menant aux secrets ésotériques qu’il avait recherché pour près de la moitié de sa vie. Pouvoirs, espoirs et malheurs, ce que la porte gardait enfermée, dans les tréfonds souterrain de la terre, était une perspective alléchante, et probablement un jour lui permettrait-elle de les répandre sur le monde. Mais pour l’instant, elle appréciait son lit douillet et sa gamelle remplie et même la compagnie du vieux magicien bougon.
Clochette était en réalité un bien étrange chat.
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