Noko

A chaque pas, ses bottes s’enfonçaient, profondément, dans l’épaisse couche neigeuse. L’horizon blanc s’étendait à perte de vue, un désert de glace, baigné par les astres et les lumières vertes qui serpentaient comme le Jormungand. Rubans et filaments d’écailles de nuages. Noko portait sur son dos le poids de ses rêves et de ses souvenirs, bouts d’os et de crânes. Iel les portait jusqu’au matin, lointain du jour. Ses yeux, brillants et bleus comme l’eau pure, piégée à tout jamais sous le givre, fixaient un point au-delà de tout, inatteignable par l’homme, et vers lequel iel se dirigeait à son tour. Avec sur son dos, les restes des siens. 
 

Au bout du long hiver, qui avait pris leur fils et leur filles, empoisonné leur sol, piégé leur eaux, balayé leur maisons, il ne restait plus que Noko, le dernier des hommes, la dernière des femmes, épargné par la guerre et les dieux pour qu’iel puisse transporter les enfants de son village, jusqu’à la dernière aube. Et ses bottes, à chaque pas, s’enfonçaient, profondément, dans la neige. Les vents glacés mordaient au travers des épaisses couches de ses vêtements. Mais, ce n’était pas sa peau, ce n’était pas son corps, ni même ses os, sa tête était gelée. Son coeur, était gelé. Mais, à chaque pas, ses bottes, s’enfonçaient, profondément, dans le sol. Et son dos se courbait. La neige grimpait, le long de ses jambes, jusqu’à ses genoux, sa taille, sa poitrine.
 

Iel ôta le sac de ses épaules et le porta contre lui, à travers la nuit sans fin et les vents gelés. Vers une aube qu’iel savait, ne jamais voir venir. A travers l’immense désert qu’avait été son pays. Quand l’aube vint, la neige était partout, et elle brillait de rouge et d’or. Dans l’horizon s’était levé un géant. Sur sa tête luisait une ceinture d’argent. La couronne des rois, pour laquelle le monde des hommes avait été plongé dans le froid. Pour laquelle Noko portait les ossements de ses enfants à travers la nuit noire. Ses bottes, s’enfonçaient, profondément, dans la neige. Et ses bras ployaient. A chaque pas. Et Noko savait, que plus iel progressait dans ce désert sans fin, moins il ne restait de chemin encore à faire. Car lorsque l’aube viendrait, et la nuit s’en irait, Noko partirait à son tour. 
 

Un pas après l’autre, Noko, s’enfonçait dans la neige. Et ses pieds, ses mains, ses bras, ses jambes, se transformaient en pierre froide. Gelée. Ses genoux ployèrent et iel demeura, ainsi, immobile, dans le chant du matin. Serrant les os contre sa poitrine. Et alors qu’iel sentait le givre lacérer sa peau, grimper sur les dernières parties de son corps qui n’étaient pas encore de glace, iel leva la tête, et observa le ciel lumineux, où se mêlaient les astres, le feu et Jormungand. Peut-être, si iel demeurait ainsi, les yeux, tournés vers le ciel, verrait-iel dans cent mille ans, l’envol d’une nuée d’oiseaux. Et ses enfants seraient à côté, et regarderaient avec Noko le ciel et les oiseaux, et la vie revenir. Le vent se tut, et l’on entendit plus que le silence. Le jour s’était levé.

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