L'odyssée de Walter (Chapitre 1)

Je ne sais pourquoi j’avais choisi ce banc là en particulier, parmi tous les bancs qui se trouvaient ici dans ce parc. Peut-être étaient-ce les rayons du soleil qui bercés par le feuillage des arbres au-dessus de nous irradiaient d’un halo étrange ce petit banc de bois blanc pareil pourtant à tous les autres. Peut-être, étions-nous attirés là par la beauté des rosiers qui s’entrelaçaient dans les buissons et l’odeur douce des citronniers qui parfumaient ce coin ci en particulier. Toujours était-il, qu’à peine quelques minutes après mon arrivée sur ce banc, un homme que je ne connaissais pas, m’y rejoignit pour s’asseoir à côté de moi. Ainsi, je n’étais pas seulement je, mais ensembles, deux inconnus assis sur le même banc, formions un nous singulier. L’homme qui s’était assis à côté était vêtu élégamment d’un costume gris qui, au contraire du vieillard ridé qui le portait, ne semblait pas si usité ni si âgé. Il portait un chapeau noir, visé sur une chevelure d’argent. Ses yeux étaient aussi bleus que la mer, que l’on trouvait non loin d’ici, par delà la ville et les étendues sauvages qui l’entouraient. En prenant place à côté de moi, l’homme avait, en guise de salutation, levé son chapeau tout en me souriant, et j’avais alors répondu par un signe de tête poli. Et c’est à peu près la seule conversation que nous eûmes pour les cinq prochaine minutes. Tous deux semblions profiter ensemble du calme et de la tranquillité du parc en cette belle journée, sans nous soucier tellement d’entretenir une conversation. Jusqu’à que la voix ancienne et grave vienne briser le silence calme. L’homme se présenta à moi, sous le nom, quelque peu fantasque, de Walter Eggman. Je n’en avait jamais entendu de tel mais il y avait ici beaucoup de passage et de gens qui venaient de tous les horizons et je ne me formalisais donc pas de l’origine étrange de son nom. Je répondis en lui donnant mon propre prénom, qui pour les fins de cette histoire il n’est pas très utile de connaître et lui demandais l’origine du sien. Il me répondit qu’il venait d’un pays lointain et dans lequel il ne pouvait retourner, comme tout le monde ici, nous savions tous que personne ne repartait. Son pays s’appelait Allemagne. Allemagne ? Cela me disait quelque chose, c’était étrange, comme une vieille chanson, je n’arrivais pas cependant à mettre le doigt sur ce que c’était… Je lui demandais si cela faisait longtemps qu’il avait quitté son pays pour nous rejoindre et il hocha de la tête.

« Je me rappelle encore… de ce jour pluvieux. » Commença-t-il. C’était une journée froide d’hiver, en tout point opposée à ce jour ci. De lourds nuages s’étaient amoncelés au-dessus d’un petit village de France. Il était descendu de sa voiture et s’était arrêté devant cette petite maison de pierres, son corps frêle battu par le vent seulement protégé de la pluie par un maigre parapluie et un chapeau en tout point identique à celui qu’il portait aujourd’hui. Là, il avait observé la maison de son plus vieil ami, avec cette pensée qu’aujourd’hui, c’était la toute dernière fois qu’il le verrait, mais lui, ne le verrait pas. Une voiture s’était avancée, des invités, des membres de la famille, ils étaient descendus et l’avaient salué, l’accueillant comme un ami. Ensembles, ils s’étaient engouffrés dans l’ancienne bâtisse, chargée de vieilles photos, autant de souvenirs. Une dame, âgée, la grand-mère, attendait assisse près du feu. Elle se tourna vers eux et les salua, serrant sa fille puis son petit-fils et sa femme dans ses bras, avant de serrer la main de Walter, l’accueillant avec autant de chaleur que s’il avait été un membre de la famille. Après tout, c’était son plus ancien ami. Il éteignirent le feu et quittèrent la maison, prenant le chemin du crématorium. Il était situé dans le centre ville de ce petit village de France, lui-même quelque part, à proximité de la frontière Allemande. Ils y parvinrent quelques minutes plus tard, là, quelques membres de la famille et des amis attendaient déjà, réunis dans le petit hall du bâtiment. Sur le côté, une chambre noire, dans laquelle entraient et sortaient les amis, la famille, tous ceux qui étaient venus rendre une dernière visite au mort. Walter, dans une démonstration de respect pour la dernière demeure de son défunt ami, avait ôté son chapeau, et le portait maintenant à la poitrine. Lentement, il fit son chemin vers la petite chambre, oh il était assez vieux pour ne plus avoir peur de la mort, mais il craignait tout de même encore le chagrin. Mais celui-ci, comme une mauvaise pluie, finissait par passé. Il fallait juste que l’orage gronde et cesse. Il entra dans la chambre et s’approcha du petit lit qui trônait en son centre. Dessus, allongé, les mains croisées sur sa poitrine, reposait Louis. Sa chevelure sombre et éparse bordait une peau ridée et grise. De fines moustaches surplombaient une bouche immobile, figée à jamais dans leur dernière expression, un sourire maussade. Ses yeux étaient clos. il était vêtu de ce genre de costume noir dont on habillait les morts. Walter inspira et posa une main calleuse sur l’épaule desséchée.

« Eh bien, nous voici, au bout de tout, mon ami… » Murmura-t-il. Il resta là, pendant assez longtemps, avant que sa main ne glisse, quittant l’épaule de Louis, et il s’éloigna. Il regagna le petit hall bruyant, où se tenait à présent toute une foule, de jeunes, de vieux, d’enfants. Les plus âgés avaient des expressions graves et discutaient sérieusement entre eux, tandis que l’esprit des plus jeunes, semblait échapper à la gravité du lieu et de l’instant. Il s’approcha de la vieille femme, qui se tenait assisse dans un coin avec ses enfants. Prenant un siège auprès d’elle, il posa une main chaude et rassurante sur la sienne, lui murmurant quelques mots réconfortants. Tandis que des hommes sobrement vêtus venaient recouvrir le cercueil et qu’elle détournait le regard, une main posée sur ses lèvres tordues dans un rictus angoissé. Ils l’emportèrent à travers la rue, et ils formèrent tout un cortège après lui, de vieux, de jeunes, d’enfants, battant silencieusement les pavés, jusqu’à la dernière maison, prise au piège de ces hauts barreaux noirs. Une mer de gris s’étendait là, sous d’anciens peupliers aux branches fières. Là, l’homme du cimetière, donna un long discours, et se succédèrent membres de la famille et amis, jusqu’à son tour. Il donna quelques mots, sobres et sévères, contant l’étrange mystère de leur rencontre dans une Allemagne en guerre, le dur labeur de ces jours, qui tissa peu à peu l’amitié solide qui les retint pour toujours, dans la vieille ferme de son père. Puis, lorsque la guerre toucha à sa fin, Louis retourna dans son pays, Walter resta dans le sien. S’en suivit une longue correspondance, qu’ils entretinrent des années durant. Jusqu’à qu’ils se retrouvent, bien plus tard.

« Louis était… c’était plus qu’un ami… » Murmura-t-il, si doucement. 

 Ils jetèrent des fleurs, roses rouges et blanches, avant que la terre ne vienne ensevelir tous leur souvenirs. Puis, ils s’éloignèrent, regagnant cette ancienne maison de pierres, en bordure de la ville. Ils mangèrent et burent, parlèrent, longuement, à propos de lui, à propos d’eux. La grand-mère reposait dans un siège en osier, les enfants jouaient sous la pluie dehors, sans crainte, les gens se forçaient à rire, jusqu’à qu’ils y parviennent de bonne grâce. Et la vie reprenait son cours. Ainsi étaient les choses, éphémères. Passant, à travers l’espace et le temps, comme des gouttes de pluies à travers un ciel blanc. Ils se séparèrent, de longues heures plus tard, Walter quitta alors leur compagnie et regagna sa voiture, reprenant la direction de ce pays qu’il appelait l’Allemagne.

« Que s’est-il passé ensuite ? » Questionnai-je, curieuse d’en apprendre plus sur cet étrange personnage.

« J’y viens. » Apaisa-t-il. Il avait pris la route, tard, dans le soir, sous un ciel, déchiré par la tempête. Une pluie drue tombait, et il voyait à peine à travers la lumière des phares le chemin sinueux qui serpentait au-devant de lui, par-delà le bois. Des éclairs enflammaient le ciel et frappaient la forêt, comme des pluies de couteaux en feu. Le sol semblait trembler à chaque grondement déchirant la nuit. La route devenait telle une mer déchaînée sous la vieille carcasse de fer et de rouille. L’auto-radio, passant de vieilles musiques, grésilla alors puis le son se tût, mourant dans une sorte de râle long et rauque. Comme le bruit de suffocation d’un chien. La lumière vacilla au devant de la voiture, et comme la vieille chanson qui passait alors, il y avait encore quelques instants, les phares s’éteignirent, ainsi que les lampes de l’intérieur de l’habitacle. Ses doigts cherchèrent dans l’obscurité, tâtonnant à la recherche du moindre faisceau, du moindre espoir d’une lumière même infime qui puisse éclairer cette nuit noire. Alors, le ciel se déchira, les ténèbres devant lui s’illuminèrent soudainement et il la vit. Immense bête remontant à travers l’orage déchaîné, cétacé immémorial des temps anciens et révolus, monstre des fonds marins. La créature, n’avait ni début, ni fin et tout ce qu’il pouvait voir autour de lui n’était qu’une vague mer d’encre noire. Un cri brisa à travers la nuit, ce n’était pas le grondement du tonnerre, ce n’était pas la terre tremblante sous lui, c’était un chant, plus puissant que la bourrasque qui étreignait les forêts de pins qui avaient été là, un instant auparavant, de part et d’autre de la route. Maintenant ensevelie sous les trombes furieuses de l’océan.

« Alors… vous l’avez vu… » Chuchotai-je, à demi mot, comme si je craignais de dire son nom dans le plein jour. On ne parlait pas de la bête. Il leva la tête, respirant l’air parfumé du jardin, l’odeur douce du gingembre frais et de lavande. Puis, je vis son regard s’obscurcir et devinai la nuit profonde et la mer déchaînée dans ses yeux sombres. Il hocha la tête, pensif. Avant de reprendre.

La baleine, qui nageait au devant de lui, avait ouvert une gueule béante d’où s’extirpait des faisceaux de lumière étranges. Étaient-ce ses phares qui avaient repris vie et illuminaient cette bouche puissante ? Ou il y avait-il quelques étoiles piégées au fin fond du cétacé géant ? Elle l’engloutit, l’avala comme s’il n’avait été qu’un minuscule et ridicule poisson tentant péniblement d’échapper au plus grand de tous les prédateurs de la mer. A mesure qu’il avançait à travers le cétacé, la lueur puissante qui semblait provenir de l’intérieur parut grandir jusqu’à qu’il se fonde totalement à l’intérieur. Elle était partout, de part et d’autre, il ne voyait que la lumière, elle était si forte, si puissante, il ne voyait plus la route ou la tempête ni même les bords de la bête. La créature toute entière semblait disparue. Aveuglé, la lueur brûlant à travers tout son corps, il ferma les yeux, certain que cela serait pour la toute dernière fois.

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